Face à un danger grave et imminent, les salariés disposent d’un droit de retrait. Mais attention, son exercice est encadré par des règles strictes. Décryptage des modalités légales de sa mise en œuvre.
Fondements juridiques du droit de retrait
Le droit de retrait trouve son origine dans la loi du 23 décembre 1982. Inscrit dans le Code du travail aux articles L. 4131-1 et suivants, il permet à tout travailleur de se retirer d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Ce droit s’accompagne d’une obligation pour l’employeur d’assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
La mise en œuvre du droit de retrait repose sur deux conditions cumulatives : la présence d’un danger grave, c’est-à-dire susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou une incapacité permanente ou temporaire prolongée, et le caractère imminent de ce danger, impliquant sa survenance dans un avenir très proche. Il est important de noter que la simple crainte ou l’appréhension ne suffisent pas à justifier l’exercice de ce droit.
Procédure d’exercice du droit de retrait
Pour exercer son droit de retrait, le salarié doit suivre une procédure précise. Tout d’abord, il doit alerter immédiatement l’employeur ou son représentant du danger qu’il a constaté. Cette alerte peut être faite oralement, mais il est recommandé de la formaliser par écrit pour en garder une trace. Le salarié peut ensuite se retirer de son poste de travail.
L’exercice du droit de retrait n’est soumis à aucune autorisation préalable. Cependant, le salarié doit rester à la disposition de l’employeur, car le droit de retrait n’est pas un droit de quitter l’entreprise. Il est conseillé au salarié de consigner par écrit les circonstances précises qui l’ont conduit à exercer son droit de retrait.
L’employeur, une fois alerté, doit procéder à une enquête pour vérifier le bien-fondé de l’alerte et prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le danger. Si le danger persiste, le Comité Social et Économique (CSE) doit être réuni en urgence, dans un délai n’excédant pas 24 heures.
Conséquences de l’exercice du droit de retrait
Lorsque le droit de retrait est exercé légitimement, l’employeur ne peut effectuer aucune retenue sur salaire ni sanctionner le salarié. De plus, aucun licenciement ou sanction disciplinaire ne peut être prononcé pour ce motif. Le salarié bénéficie d’une protection contre les représailles, similaire à celle accordée aux lanceurs d’alerte.
Toutefois, si l’exercice du droit de retrait s’avère abusif, l’employeur peut procéder à une retenue sur salaire correspondant à la période non travaillée et éventuellement engager une procédure disciplinaire. Il appartient alors à l’employeur de démontrer le caractère abusif du retrait.
En cas de litige, les tribunaux apprécient au cas par cas la légitimité de l’exercice du droit de retrait en se basant sur les critères de gravité et d’imminence du danger, ainsi que sur le caractère raisonnable du motif invoqué par le salarié.
Limites et exceptions au droit de retrait
Le droit de retrait connaît certaines limites. Il ne peut pas être exercé de manière à créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent. De plus, certaines professions, en raison de la nature de leur mission, voient leur droit de retrait encadré plus strictement. C’est notamment le cas des pompiers, des policiers, ou encore du personnel pénitentiaire.
Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, le gouvernement a précisé que le droit de retrait ne pouvait pas être invoqué systématiquement par les salariés dès lors que l’employeur avait mis en place les mesures de prévention recommandées par les autorités sanitaires.
Rôle des représentants du personnel
Les représentants du personnel, en particulier les membres du CSE, jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre du droit de retrait. Ils disposent d’un droit d’alerte en cas de danger grave et imminent, qui peut être exercé indépendamment de celui des salariés. Lorsqu’un représentant du personnel constate un tel danger, il en avise immédiatement l’employeur et consigne son avis par écrit dans un registre spécial.
L’employeur est alors tenu de procéder à une enquête immédiate avec le représentant du CSE qui a signalé le danger. En cas de divergence sur la réalité du danger ou la façon de le faire cesser, le CSE est réuni d’urgence et l’employeur doit informer immédiatement l’inspecteur du travail et l’agent du service de prévention de la caisse régionale d’assurance maladie.
Jurisprudence et cas pratiques
La jurisprudence a permis de préciser les contours du droit de retrait. Ainsi, la Cour de cassation a jugé que le droit de retrait pouvait être exercé en cas de harcèlement moral constituant un danger grave et imminent pour la santé mentale du salarié (Cass. soc., 31 mai 2017, n° 15-29.225). Elle a également considéré que l’exercice du droit de retrait était justifié dans le cas d’un chauffeur-livreur contraint de conduire un véhicule dont le système de freinage était défectueux (Cass. soc., 5 juillet 2000, n° 98-43.481).
En revanche, la Haute juridiction a estimé que le simple fait d’être affecté à un poste pour lequel le salarié estime ne pas avoir reçu de formation suffisante ne justifie pas l’exercice du droit de retrait (Cass. soc., 20 mars 1996, n° 93-40.111). De même, la crainte de contracter le COVID-19 en l’absence de mesures de protection adéquates ne suffit pas à elle seule à caractériser un danger grave et imminent justifiant l’exercice du droit de retrait (CA Versailles, 24 avril 2020, n° 20/01993).
Prévention et dialogue social
La meilleure façon de prévenir l’exercice du droit de retrait reste la mise en place d’une politique de prévention des risques professionnels efficace. L’employeur doit évaluer régulièrement les risques, les transcrire dans le Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels (DUERP) et mettre en œuvre les actions de prévention nécessaires.
Le dialogue social joue un rôle essentiel dans ce processus. La consultation régulière du CSE sur les questions de santé et de sécurité au travail, la formation des salariés aux risques professionnels et la mise en place de procédures claires en cas de danger permettent de créer un climat de confiance et de réduire les situations pouvant conduire à l’exercice du droit de retrait.
Le droit de retrait constitue une protection essentielle pour les salariés face aux dangers graves et imminents sur leur lieu de travail. Son exercice, encadré par des conditions strictes, nécessite une évaluation objective de la situation et une communication claire entre salariés et employeurs. La prévention et le dialogue restent les meilleurs outils pour garantir la sécurité de tous au sein de l’entreprise.